Témoignage d’une moniale orthodoxe bretonne :

 

                              Mère Eleni

 

 

Oui, je suis de souche bretonne très ancienne, née à Brest en 1924, mais je n’ai pas vécu en Bretagne. La profession de mon père nous a conduits en Normandie où mes parents restèrent jusqu’à leur retraite.

De famille chrétienne, catholique, pratiquante, les uns après les autres (moi, aînée de quatre enfants) avons étudié en internat à Avranches dans un pensionnat tenu par des religieuses pour les filles, mon frère chez les religieux.

En 1940, j’ai dû interrompre les études car mon père fut mobilisé sur un dragueur de mines. Période très difficile, puis à son retour, ce fut l’occupation allemande, la « Résistance » à laquelle mon père me faisait participer … puis la « Libération » … Mon père m’envoyait aider, ici ou là, … bombardements … soins aux blessés …, je peux dire que c’est à l’âge de 17 ans – à travers toute cette détresse et cette violence – que j’ai ressenti l’urgence intérieure de consacrer ma vie à Dieu. Refus des parents – études de médecine – maladie – études d’infirmière – exercice de cette profession …

Je trouvais enfin, à 30 ans, mon lieu de vie consacrée chez les Petites Sœurs de Jésus (Père de Foucauld). Je fus envoyée au Maroc (Casablanca) pour le postulat … infirmière dans un très pauvre hôpital israélite : premier contact avec nos frères juifs dont j’avais toujours entendu parler en négatif, dans ma famille …, alors que nous n’en avions jamais rencontré un seul !! Pour le noviciat, je fus envoyée à Nazareth et suis restée en Galilée (Israël) de 1957 à 1985. Par vocation de Petites Sœurs, en Orient, nous étions accueillies dans les Eglises orientales catholiques (souci d’insertion plus profonde). Pour moi et mes « sœurs » ce fut l’Eparchie grec-catholique melkite de Galilée. Jusqu’à mon âge de 30 ans, je n’avais jamais entendu le mot orthodoxe, Eglise Orthodoxe … Cette éparchie de Nazareth – Haïfa – Saint Jean d’Acre – remonte à 1724 environ. Elle appartient au Patriarcat d’Antioche.

Au fil des années … étude de l’arabe littéraire pour les prières des pour les prières et offices et Divine Liturgie … de l’arabe parlé, de l’hébreu pour mes contacts en milieu juif, séjours réguliers dans un petit monastère grec-catholique dont l’aumônier avait été envoyé pour ses études de théologie … au Séminaire Saint Vladimir de New York … Tout l’enseignement reçu là était « orthodoxe ». Nous ne disions jamais le « Filioque » ni à l’évêché, ni dans les paroisses et monastères. Au bout d’une vingtaine d’années de cette insertion progressive et profonde, réalisant que cette Eglise que j’aimais tant avait ses racines en … orthodoxie, j’ai demandé et obtenu une « année sabbatique » à l’Institut Saint Serge de Paris. Petit programme d’études, cours bien sûr, mais surtout connaissance vivante de chrétiens orthodoxes à travers congrès, colloques et à Saint Serge même.

Année charnière.

Retour à Haïfa pour dix mois et, en toute clarté avec mes supérieures, je quittais ce pays tant aimé, « la Terre du Saint », à travers son Eglise, ses habitants chrétiens, juifs et musulmans, où nous comptions beaucoup d’amis, et venais à Aubazine (Limousin, Corrèze) en « ermitage » près d’un petit monastère grec-catholique, pour un temps prolongé de discernement, vécu en transparence avec la Fraternité des Petites Sœurs de Jésus. Un séjour en Roumanie en 1992 sur l’invitation de Mgr. Séraphin, alors Evêque auxiliaire de Sibiu, que j’avais connu sur les bancs de l’Institut Saint Serge, fut « le déclic ». Evidence pour moi du « deviens ce que tu es » … Et c’est en 1998 seulement (oui, les délais de Dieu, qui écrit droit dans nos vies avec des lignes courbes, ne sont pas les nôtres ! …) que je quittais Limousin pour la Bourgogne, accueillie au Monastère Notre Dame de Toute – Protection, telle que j’étais, ayant prononcé mes vœux définitifs à Rome en 1963.

Aucune rupture pour moi … mais … accomplissement, aboutissement et aussi … un « lâcher-tout » … Tout se passa dans la clarté, la patience et je dirais l’amour, malgré la souffrance, avec l’Eglise catholique de laquelle j’avais tant reçu … aucun conflit … et de cela je rends grâce à Dieu chaque jour … car le Christ n’a fondé qu’une seule Eglise. J’ai retrouvé les racines, je bois à la source première, cela est pur don de Dieu … à qui soit rendu gloire et honneur pour les siècles. « La Prière de Jésus » … le Kirie Eleison en toutes langues, avec prédilection pour « l’arabe » qui me monte au cœur spontanément. Cette « Prière de Jésus », cri du Publicain, résume désormais tout, pour une « dernière étape » … Alléluia !

 

 

Si je peux demander quelque chose pour ces chrétiens arabes du Patriarcat grec-catholique d’Antioche, c’est de ne pas les appeler « uniates ». Ce terme ne leur convient absolument pas et c’est une blessure injuste à leur égard. En toute humilité, je laisse cette remarque à votre jugement, dans la prière et le souci de l’Unité tant désirée.

 

 

Mère Eleni